Atmosphères de travail en plasturgie et composites : risques, mesures et solutions


Article publié dans la revue CHIMIE & COMPAGNIE N° 14 de janvier 2023 – Recueil technico-juridique de la compagnie nationale des experts judiciaires de la chimie (CNEJC).

 

Atmosphères de travail en plasturgie et composites : risques, mesures et solutions

Paolo BRUNO – Directeur Scientifique et Technique d’ISPIRA – Expert Judiciaire Air & Industrie

 

Introduction

 

La filière industrielle des plastiques et des matériaux composites utilise une variété de substances chimiques volatiles qui peuvent s’accumuler dans les atmosphères de travail. Les principaux procédés mis en œuvre en plasturgie (injection, thermoformage, extrusion, roto-moulage, compression) et en composites (moulage au contact, pulvérisation, enroulement filamentaire, projection simultanée) sont, dans la plus part des cas, associés à des émissions dans l’air d’agents chimiques classés dangereux. Les phases de nettoyage des outils et de préparation et nettoyage des moules avec des solvants constituent également des procédés émissifs. Afin de prévenir les risques d’exposition par inhalation, les concentrations dans l’air des agents chimiques, émis par les différents procédés, sont règlementées.

Les réglementations concernant la prévention des risques d’exposition professionnelle aux agents chimiques évoluent rapidement : réglementation de nouvelles substances, abaissement des seuils pour les Valeurs Limites d’Exposition Professionnelle (VLEP), création de Valeurs Limites Court Terme (VLCT), passage de valeurs indicatives à valeurs contraignantes.

Les Valeurs Limites d’Emission (VLE) des Composés Organiques Volatils (COV) dans l’atmosphère rencontrent, elles aussi, des limitations très contraignantes.

Les industriels de la filière sont donc de plus en plus sollicités sur ce sujet par les organismes de prévention et de contrôle, comme les CARSAT (1) et l’inspection du travail dans le cadre de l’hygiène professionnelle et par les DREAL (2) dans le cadre de la maîtrise des émissions atmosphériques.

 

Figure 1 – Fabrication de pièces en polyester armé par moulage au contact

 

Principaux agents chimiques et cadre règlementaire

Les procédés de fabrication des plastiques à chaud dégagent des vapeurs contenant des substances comme le formaldéhyde et l’acrylonitrile qui sont classées et encadrées au regard de leurs propriétés cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR).

La fabrication des matériaux composites implique l’utilisation de fibres (naturelles ou synthétiques) et des résines polymères. Une fois la polymérisation terminée, les matériaux obtenus présentent des caractéristiques techniques de résistance et légèreté qui permettent leur utilisation dans plusieurs secteurs industriels comme le naval, l’aviation, l’automobile, le bâtiment. Les procédés de stratification impliquent la création de surfaces émissives qui, selon les cas, peuvent être particulièrement polluantes.

Prenons deux exemples d’agents chimiques règlementés, le formaldéhyde dans la plasturgie et le styrène dans les composites.

Le formaldéhyde (ou aldéhyde formique) est classé cancérogène 1B (effet cancérogène présumé avec de fortes présomptions) et mutagène classe 2 (effet mutagène suspecté) par le règlement CLP (3)  de l’Union européenne. Il se présente sous forme gazeuse à température ambiante (gaz incolore d’odeur piquante et suffocante) et il est toxique par inhalation et irritant pour les voies respiratoires, la peau et les yeux.

Le formaldéhyde est utilisé comme matière première dans la fabrication de résines et de polyacétals (à la base des thermoplastiques) et comme intermédiaire de synthèse de nombreux produits chimiques. Dans l’industrie des matières plastiques nous retrouvons donc le formaldéhyde en tant que polluant gazeux lors des procédés de transformation à chaud. Des émissions de formaldéhyde se produisent lors du moulage des pièces en polyoxyméthylène (POM), lors du chauffage du polyéthylène et lors des procédés de fabrication par polymérisation de phénoplastes et aminoplastes (plastiques thermodurcissables). Ces émissions de formaldéhyde peuvent être à l’origine d’expositions importantes pour les opérateurs, lors des phases de démoulage et de tri et manipulation des pièces fraichement fabriquées. Afin d’évaluer ces risques d’exposition il est important de mesurer les concentrations de formaldéhyde aux postes de travail et de les comparer aux valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP).

En France, de nouvelles valeurs limites d’exposition professionnelle contraignantes pour le formaldéhyde dans les atmosphères de travail ont été introduites par décret (4)  en 2020 : 0,37 mg/m3 sur 8 heures et 0,74 mg/m3 sur 15 minutes.

Le styrène est le constituant principal des résines, colles et gelcoat (5) utilisés pour la fabrication de pièces en polyester stratifié. Il s’agit d’un composé organique aromatique volatil qui se présente sous forme de liquide huileux à température et pression ambiantes et qui a une odeur âcre très caractéristique. Le styrène est classé cancérogène 2 (effet cancérogène suspecté) par le règlement CLP  de l’Union Européenne. Il est nocif par inhalation et irritant pour la peau et les yeux. Parmi les risques potentiels répertoriés, le styrène peut avoir des effets graves sur les organes de l’ouïe à la suite d’une exposition prolongée.

Afin d’imposer une vigilance renforcée, des nouvelle valeurs limite d’exposition professionnelle contraignantes pour le styrène sont entrées en vigueur le 1er janvier 2019 (6)  : 23,3 mg/m3 sur 8 heures et 46,6 mg/m3 sur 15 minutes.

Dans le cadre de la prévention des risques d’exposition à ces agents, l’employeur doit :

  • Informer les employés des risques chimiques ;
  • Mesurer les teneurs des agents chimiques règlementés dans l’air des lieux de travail ;
  • Mettre en place des solutions permettant de réduire les risques d’exposition.

 

Méthodes de mesure

La mesure des concentrations des agents chimiques dans l’air des lieux de travail est réalisée par des organismes spécialisés au moyen des méthodes reconnues et accréditées. Généralement l’air est prélevé, au moyen de pompes bas débit (7), sur des supports spécifiques adaptés au piégeage quantitatif des composés chimiques d’intérêt. Les composés sont ensuite identifiés et dosés en laboratoire.

Les aldéhydes, y compris le formaldéhyde, sont prélevés sur des supports en gel de silice imprégné du réactif DNPH (8) qui convertit les aldéhydes en hydrazones. Les hydrazones, une fois désorbées, sont dosées par chromatographie liquide à haute performance avec détection UV.

Les COV, y compris le styrène, sont prélevés sur des supports en charbon actif puis désorbés thermiquement et dosés par chromatographie en phase gaz et spectrométrie de masse (GC-MS).

Les pompes de prélèvement sont disposées sur les postes de travail et sur les opérateurs, selon la configuration des ateliers, les produits utilisés et les taches réalisées par les opérateurs. Ces mesures, dites de référence, peuvent être couplées à des mesures dynamiques réalisées avec des détecteurs et/ou microcapteurs, capables de fournir des données de concentration des polluants en continu et permettant de déterminer les pics de concentration, de localiser les zones d’accumulation des polluants et de comprendre l’origine des émissions des différents procédés. L’ensemble des ces mesures permet de réaliser une cartographie des agents chimiques présents dans l’air des ateliers et d’évaluer les risques d’exposition professionnelle.

Figure 2 – Mesure de COV sur opérateur

Figure 3 – Mesures dynamiques de styrène avec détecteur PID lors de la fabrication d’une coque de bateau

Figure 4 – Pompes bas débit avec supports pour la mesure d’acide acétique, COV et formaldéhyde dans l’air d’un atelier d’extrusion du PET recyclé

 

Solutions techniques pour la maîtrise du risque

Une fois réalisée l’évaluation du risque, l’industriel doit identifier et mettre en œuvre les actions efficaces permettant de réduire les risques d’exposition aux agents chimiques pour les opérateurs.

Dans les ateliers de plasturgie et composites ces actions peuvent être classées ainsi :

  • Substitution des produits dangereux ;
  • Mise en place des Equipements de Protection Collective (EPC) – captage des polluants à la source et ventilation des ateliers ;
  • Mise en place des Equipements de Protection Individuelle (EPI) ;

La substitution des produits les plus dangereux est la mesure de prévention prioritaire. Par exemple, la plupart des solvants chlorés, très toxiques, utilisés historiquement pour le nettoyage des outils et des moules en plasturgie, a été remplacée par des produits moins dangereux. Un autre exemple est représenté par l’utilisation, de plus en plus courante dans la filière des composites, de résines polyester à faible teneur en styrène ou à faible taux d’émission.

Quand la substitution des produits n’est pas applicable ou quand elle n’est pas suffisante à réduire les niveaux d’exposition, il faut donner la priorité aux mesures de protection collective. Ces mesures prévoient la mise en place de dispositifs de captage efficaces au plus près de la source d’émission des polluants.

En plasturgie, les machines d’injection, de thermoformage, de roto-moulage et d’extrusion, sont, dans la plupart des cas, confinées et équipées par défaut de systèmes d’extraction des fumées. Dans les ateliers de fabrication de pièces en matériaux composites, sont utilisées des cabines fermées ou semi-ouvertes avec extraction d’air pour les phases de pulvérisation et de projection simultanée. Pour la fabrication de pièces de grande taille (piscines, coques de bateaux, pales d’éoliennes, etc.) la mise en œuvre de systèmes efficaces d’aspiration à la source n’est pas toujours évidente. De procédés innovants en circuit fermé ont alors été développés : les moules fermés et l’infusion, qui prévoient le transfert de résine polyester dans des moules mis sous vide.

 

Figure 5 – Cabine de pulvérisation avec aspiration par le bas et soufflage par le haut

 

Afin de garantir l’efficacité de captage des polluants à la source et pour maîtriser ou diriger les flux d’air dans les ateliers, il est parfois nécessaire de mettre en œuvre une compensation d’air. Le principe est le suivant : lorsqu’une extraction d’air est en service dans un atelier, il doit obligatoirement s’y introduire un débit d’air équivalent au débit d’air extrait afin d’établir un équilibre entre les quantités d’air entrantes et sortantes. Cette compensation est souvent réalisée de manière mécanique, par soufflage d’air neuf contrôlé.

Dans les usines de nouvelle génération la ventilation des ateliers peut être asservie aux variations de concentration des polluants dans l’air, mesurées à l’aide d’un réseau de capteurs. Ce type d’installation permet d’un côté de surveiller en continu les concentrations des polluants dans les différentes zones des ateliers (surveillance complémentaire aux contrôles périodiques des VLEP) et d’un autre côté de maîtriser la consommation énergétique liée à a ventilation tout en gardant la maîtrise du risque d’exposition pour les opérateurs.

In fine, les équipements de protection individuelle viennent en complément des équipements de protection collective. Les gants et les lunettes pour la protection de la peau et des yeux contre le styrène lors des opérations de pulvérisation, moulage au contact et projection simultanée. Les appareils de protection respiratoire type masques et demi-masques à cartouches sont conseillés lors de la réalisation d’opérations émissives de courte durée, généralement de durée inférieure à 1 heure. Lorsqu’il y a la nécessité d’utiliser un appareil de protection respiratoire pour plus d’une heure, il est recommandé d’utiliser un appareil de protection à respiration assistée.

 

Références bibliographiques

  • INERIS – Fiche de données toxicologiques et environnementales des substances chimiques – Styrène – 27/09/2011.
  • INERIS – Point sur les Valeurs Toxicologiques de Référence (VTR) – RAPPORT D’ÉTUDE 17/03/2009 – N° DRC-08-94380-11776C.
  • Guide pratique de ventilation N° 9.1 « Cabines d’application par pulvérisation de produits liquides » – INRS ED 839.
  • Art R 4412-27 à 4412-31 du Code du Travail : « Contrôle des valeurs limites d’exposition professionnelle », dispositions applicables aux agents chimiques dangereux.
  • Art R 4412-76 à 4412-81 du Code du Travail : « Contrôle des valeurs limites d’exposition professionnelle », dispositions particulières aux agents chimiques dangereux cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction.
  • INRS – « Les appareils de protection respiratoire – Choix et utilisation » – ED 6106, juillet 2017.
  • INRS – Guide pratique de ventilation N° 21 – Atelier de plasturgie – ED 6146, 2013.
  • INRS – Guide pratique de ventilation N° 3 – Polyesters stratifiés – ED 665, 2014.
  • INRS – Fiche toxicologique N° 7 – Aldéhyde formique et solutions aqueuses – Mars 2022.
  • INRS – Fiche toxicologique N° 2 – Styrène – Novembre 2019.

 

(1) Caisse d’Assurance Retraite et de la Santé Au Travail

(2) Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement

(3) Le règlement CLP désigne le règlement n° 1272/2008 du Parlement européen relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances chimiques et des mélanges.

(4) Décret n° 2020-1546 du 9 décembre 2020.

(5) Un gelcoat aussi appelé topcoat ou enduit gélifié est un matériau à base de résine synthétique, utilisé pour fournir une haute finition et protection de la surface visible d’un matériau composite souvent composé de fibres variées (Wikipédia).

(6) Décret n° 2016-344 du 23 mars 2016.

(7) Pompes portatives garantissant un débit de prélèvement constant pouvant aller de 0,2 à 2 L/min.

(8) 2,4-dinitrophénylhydrazine.